I. LA BEAUTÉ DAN L’ART

Cf. PowerPoint en pièce jointe.

II. LA BEAUTÉ ET LA LAIDEUR AU CINÉMA ET EN LITTÉRATURE

  • 1. Le blason en poésie

Le blason est un type de poème populaire au XVIe siècle. Son originalité repose sur un parti pris thématique : le poète s'attache à un détail anatomique du corps féminin et en développe l'éloge dans un jeu poétique brillant. La structure formelle n'est pas définie : il s'agit de poèmes assez courts (30-40 vers) en octosyllabes ou en décasyllabes placés dans un système en rimes plates où le poète démontre son esprit et sa virtuosité.

L'origine du genre remonte à la louange des chevaliers et à la description de leur écu armorié dans les tournois médiévaux, par exemple dans Lancelot ou le Chevalier de la charrette (XIIe s.) de Chrétien de Troyes. Au XVIe siècle, c’est le corps féminin qui donne lieu au blason : il n’est plus celui de la théologie chrétienne, nié au profit du corps mystique du Christ dans lequel il doit se fondre, ni le corps de la philosophie cartésienne. Il est un corps de plaisir, exalté par la certitude de la fragilité de toute chose.

Cf.: Mellin de Saint-Gelais et Maurice Scève.

  • 2. Le Mépris de Jean-Luc Godard : un hymne à la beauté féminine (1963)

La beauté est une « qualité de quelqu'un, de quelque chose qui est beau, conforme à un idéal esthétique » (Larousse)


“Tu les trouves jolies mes fesses ... et mes seins, tu les aimes” ? Brigitte Bardot nue sur un lit détaillant son corps à Michel Piccoli est depuis devenue l’une des séquences les plus cultes du septième art. Pourtant gêné par les producteurs présents derrière la caméra – exigeant de voir chaque bout d’essai avant que le plan suivant ne soit tourné – Jean-Luc Godard répond à la contrainte commerciale avec un hymne au corps féminin, qu’il décrit comme “une scène d’amour total, complet, aussi physique que platonique”.

La beauté et la laideur sont des notions subjectives, mais surtout des constructions sociales. La culture véhicule des critères esthétiques spécifiques qui évoluent. La beauté a été autrefois associée aux courbes voluptueuses en comparaison des critères actuels qui privilégient la minceur et la forme physique. Les changements proviennent principalement des valeurs associées à l'apparence physique qui se modifient avec le temps. De plus, les critères ne sont pas homogènes dans une population et dépendent de la position sociale. Les exigences de beauté pèsent davantage sur les femmes et peuvent être un frein concernant leur vie sociale et professionnelle, il y a donc des inégalités voire des discriminations liées à la beauté qui est un véritable enjeu de classement social (Bourdieu).

  • 3. La laideur : le portrait de Brigitte Bardot dans Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq (1994)

La beauté est donc différente selon la position sociale des individus, car elle fonctionne comme un indice d'appartenance et engendre des clivages sociaux. Les manières de se mouvoir et de parler sont des formes de communication qui sont profondément enracinées dans la culture et qui reflètent les normes, les valeurs et les attentes sociales d'un groupe donné. Il considérait que ces modes d'expression étaient appris et intériorisés par les individus au sein de leur société.

Le risque est alors de subir une discrimination, c'est-à-dire de traiter quelqu'un différemment en fonction de critères subjectifs liés notamment à l'apparence qui véhicule des stéréotypes négatifs. Les discriminations peuvent avoir pour objet la couleur de peau, la taille ou encore l'âge. Elles ont lieu dans le domaine de l'emploi, mais aussi dans les relations amicales ou amoureuses. C'est par exemple le cas pour les personnes en surpoids ou obèses qui sont affublées de valeurs négatives, car considérées comme manquant de volonté ou ne prenant pas soin de leur santé. On parle alors de « grossophobie », avec des emplois qui peuvent leur être refusés à cause de leur corpulence, ou encore lorsqu'elles sont victimes de propos négatifs ou de harcèlement.



Le roman évoque une jeune fille au physique porcin, qui n’est pas sans rappeler la narratrice de Truismes de Marie (1996). L’écriture de Houllebecq, à la fois cruelle et drôle, met en exergue le caractère grotesque (bizarre et ridicule) du portrait, soulignant l’écart entre le mythe de Brigitte Bardot et son modèle déclassé, avili. Notons que la misère économique et culturelle s’associe à la laideur pour faire de la jeune fille un véritable contre-modèle du mythe. Le narrateur refuse même au personnage le droit à une sexualité ou même à de l’affection.

Devant les critères de beauté, les femmes et les hommes sont inégaux. Les exigences sont plus fortes pour les femmes qui doivent se maquiller et prendre davantage soin d'elles-mêmes pour leurs vêtements et accessoires, leur coiffure, leur pilosité ou encore leur bronzage. Dans ce cadre, les normes sociales sont plus strictes car, contrairement aux hommes, elles peuvent plus difficilement compenser leur manque de beauté par un critère de réussite sociale, comme la richesse, la gentillesse ou la reconnaissance.

Les normes de beauté idéalisées sont souvent centrées sur les femmes, mettant l’accent sur des critères tels que la jeunesse, la minceur ou la peau sans défaut et bronzée. Ces normes sont véhiculées par les différents médias, créant ainsi des attentes et des pressions afin de correspondre à ces idéaux. Elles sont également parfois réduites à leur apparence, notamment dans les domaines majoritairement masculins. Les femmes perçues comme belles peuvent bénéficier d'un traitement plus favorable dans certains domaines tels que l'emploi, la carrière et les relations interpersonnelles. Cela peut créer une pression supplémentaire pour investir dans le capital beauté afin de maximiser leurs chances, car l'apparence est un critère pour évaluer la valeur des femmes.

  • 4. : Le monstre en littérature et au cinéma

L’infirme, l’être différent est présenté comme un monstre, dérivé du latin monstrum, celui qui attire l'attention, Pour les Grecs, le teratos, « le monstre » est celui qui est prodigieux, hors du commun. Dans les deux cas, il est celui qui, du fait de sa différence, attire les regards. Le monstre est cet individu dont la morphologie par excès ou défaut d'un organe, soit par position anormale des membres. Il provoque la répulsion ou la curiosité, car il surprend par sa singularité.

L'exhibition des monstres est une tradition ancienne qui trouve son apogée au cours du XIXe siècle, avant un changement de regard sur ce voyeurisme de l'infirmité. Le nain, le géant, la femme à barbe ou les siamois cessent dès lors d’apparaître comme des objets de foire pour être considérés comme des humains atteints d'un handicap.

Au Moyen Âge et à l'époque moderne, les cours princières s'emparent du phénomène. Plusieurs nains sont ainsi représentés par des peintres de la Renaissance. Sebastiano de Morra est entré dans l'histoire grâce à un tableau de Diego Vélasquez de 1645 conservé au musée du Prado. Représenté assis, les mains liguées comme des moignons, Sebastiano de De Morra est revêtu de riches étoffes pour rappeler qu’il vécut à la cour de Philippe IV.


De la même manière, les géants ont fasciné les auteurs antiques et les cours princières, Les Habsbourg de Vienne possédaient dans leur collection un tableau du xvi siècle figurant le géant Giovanni Bona et le nain Thomerle. Le contraste entre la taille des deux personnages est saisissant.


Cette figuration témoigne de l’intérêt porté par les familles princières pour les individus aux pathologies particulières. À partir du XVIIe siècle, certains géants deviennent célèbres en se produisant dans les spectacles forains, à l'instar de William Bradley qui a vécu entre 1798 et 1820.

cf. L’Homme qui rit de Victor Hugo (1869)

Gwynplaine, le héros de L’Homme qui rit, a la bouche fendue jusqu’aux oreilles en un rire éternel et mélancolique, car c’est le fruit d’une défiguration. Avec Ursus, le bonimenteur, et Dea, une jeune fille aveugle, ils forment une troupe de comédiens ambulants dans l’Angleterre de la fin du XVIIe siècle.

Gwynplaine génère malgré lui le comique, mais le lecteur ne saurait percevoir le personnage de Hugo comme un sujet risible (et ce d’autant plus qu’il est perçu comme un héros sublimé quasi christique). On ne voit même pas comment il pourrait déclencher le rire tant il est vrai que les portraits successifs désamorcent toute velléité de rire. On conçoit simplement que Gwynplaine fasse rire par ses apparitions. Les sentiments de Gwynplaine (étonnement, souffrance, colère, pitié) provoquent inéluctablement et invariablement la même réaction du spectateur : le rire. Véritable malédiction et pour l’acteur et pour le spectateur. Cette malédiction sociale est à rapprocher de ces propos de Gwynplaine : « Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain. On lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l'intelligence, comme à moi les yeux, les narines et les oreilles ; comme à moi, on lui a mis au cœur un cloaque de colère et de douleur, et sur la face un masque de contentement. ». Gwynplaine est l’archétype du héros romantique (personnage sacrifié, incompris, sentiments exacerbés, malédiction, solitude...)

Le symbole du commerce de la curiosité est le Musée américain de Phineas Taylor Barnum qui accueille à Manhattan 41 millions de visiteurs de 1841 à 1868. Il exploite la soif de distraction de la population en présentant un musée des particularités anatomiques. Le public peut assister à des conférences présentées comme scientifiques, des spectacles de magie ou des danses amérindiennes. Le monstre devient un produit « commercialisable sur un marché de masse ». Barnum exploite son modèle en Europe lors d’une tournée avec, comme star Charles Stratton appelé Général Tom Pouce dans la décennie 1840.

L’histoire du musée américain de Barnum (2017)


L’exploitation des phénomènes de foire (2024)


Au XIXe siècle, il y a une exploitation des femmes à barbe dans les foires, les cirques et les music-hall. Clémentine Delait devient célèbre : sa barbe lui a permis de faire une tournée européenne et d’attirer du monde dans le bar qu’elle tenait dans les Vosges (imaginaire érotique du début du XXe siècle). Intérêt pour l’anthropologie. La curiosité s’épuise entre-deux guerres : le corps humain « monstrueux » est vu comme infirme et soufrant. Les expositions de monstres sont peu à peu interdites dès 1863 (interdiction en France des « culs-de-jatte, manchots, estropiés et autres personnes infirmes », 1896 interdiction des « autres phénomènes vivants », ou des « spectacles obscènes ou répugnants » mais la pratique demeure. Ces infirmité prennent place dans la médecine.

Le cinéma sert de relai : 1932 Freaks de Tod Browning met en scène des sœurs microcéphales Zip et Pip ou Olga Roderick, une femme à barbe. Assimilés à des enfants, ils sont présentés dans leurs tâches quotidiennes pour montrer que leurs sentiments sont les mêmes que ceux des gens ordinaires. Éléphant Man de David Lynch témoigne pour la première fois de compassion face aux « monstres ».

Le premier film de « monstres » : Freaks de Tod Robbins (1932)


La compassion envers les monstres : Elephant Man (1980)



III. LE CULTE DE LA BEAUTÉ : FAIRE DE SON CORPS UNE OEUVRE D’ART

  • 1. Lorsque j’étais une oeuvre d’art d’Eric-Emmanuel Schmitt (2002)

Le roman d'Éric-Emmanuel Schmitt Lorsque j'étais une œuvre d'art prend naissance dans le désir suicidaire de Tazio, qui lui n'a pas la lumineuse beauté du Tazio de Mort à Venise de Fellini. Ce Tazio-là se sent disgracié par un corps ingrat qui n'est pas celui de ses deux frères, les jumeaux Pirelli, mannequins, considérés comme les deux hommes les plus beaux du monde, Un prétendu plasticien se prenant pour un démiurge, Zeus-Peter Lama, propose au désespéré de changer sa vie en lui remodelant radicalement son corps, par une chirurgie qui redéfinira la place de ses organes, de ses membres, tout en maintenant un fonctionnement physiologique :

Mon jeune ami, chacun de nous a trois existences. Une existence de chose : nous sommes un corps. Une existence d'esprit: nous sommes une conscience. Et une existence de discours : nous sommes ce dont les autres parlent.

Ne restera d'humain dans son apparence qu'une lueur dans ses yeux. Devenu phénomène de mode pour ne pas dire phénomène de foire, Tazio, devenu Adam bis, finira par se révolter contre le créateur, nouveau Frankenstein, qui la instrumentalisé pour le réduire à une organicité immonde. Cela grâce à la rencontre du peintre Hannibal qui l'aide à développer son humanité par laquelle il aspire à son corps d'autrefois. Dans quelle mesure le corps peut-il s'infléchir pour se faire œuvre ?

ORLAN : une artiste du corps

Wikipedia.


ORLAN.


RiseArt


  • 2. Cette divine oeuvre d’art La Mort à Venise de Thomas Mann (1913)

Ce texte de Thomas Mann présente une expérience unique : la révélation de la beauté du corps, celui d’un jeune homme. Le narrateur décrit une émotion esthétique : le corps humain est perçu comme la Beauté incarnée, source d’une joie surhumaine.

Il le voyait venir de la gauche, le long du rivage, il le voyait surgir d'entre les cabines derrière lui, ou s'apercevait parfois tout à coup, non sans un joyeux émoi, qu'il avait manqué son arrivée et que l'adolescent était déjà là, et que déjà, dans le costume de bain bleu et blanc qui était maintenant son unique vêtement de plage, il avait repris ses occupations coutumières au soleil et dans le sable, et cette vie d'aimable futilité, d'agitation oisive, qui était à la fois jeu et repos, plaisir de flâner, de patauger, de manier la pelle, de poursuivre et d'attraper, de nager, de s'allonger ; cependant les dames assises sur la plate-forme le guettaient et l'appelaient, faisant résonner de leurs voix de tête son nom : « Tadziou ! Tadziou ! » et il accourait auprès d'elles avec une mimique animée, pour leur raconter ses aventures, leur montrer ses trouvailles, son butin : coquillages, hippocampes, méduses et crabes qui avancent par bonds de côté, Aschenbach ne comprenait pas un mot de ce qu'il disait, peut-être les choses les plus banales du monde ; mais cela faisait une tendre et vague mélodie à son oreille. Ainsi parce que l'enfant parlait une langue étrangère, sa parole revêtait la dignité de la musique; un soleil glorieux répandait une somptueuse lumière sur lui et la sublime perspective de la mer formait toujours le fond du tableau et en faisait ressortir la beauté.

Bientôt le contemplateur connut chaque ligne et chaque attitude de ce corps présenté si librement, avec un relief si puissant ; il saluait avec une joie toujours renouvelée chacune des perfections qui lui étaient déjà familières et n'en finissait pas d'admirer avec une tendre sensualité. On appelait l'enfant pour saluer un visiteur qui présentait son hommage aux dames devant la cabine ; il accourait, parfois sortant des vagues, tout mouillé, rejetait sa chevelure, et tendant la main, reposant sur une jambe, l'autre pied appuyé sur la pointe, il tournait le corps avec un mouvement souple d'une grâce infinie, élégant geste d'attente, d'aimable confusion, désir de plaire par devoir de gentilhomme. D'autres fois, il était allongé à terre, la poitrine enroulée dans son peignoir, un bras délicatement ciselé accoudé dans le sable, le menton dans le creux de la main ; à côté de lui, celui qu'on appelait « Jaschou » était accroupi, lui faisant des amabilités, et l'on ne saurait imaginer rien de plus enchanteur que le sourire des yeux et des lèvres avec lequel le petit prince levait le regard vers son humble courtisan. Ou bien, debout au bord de la mer, seul, à l'écart des siens, tout près d'Aschenbach, droit, les mains croisées derrière la nuque, il se balançait lentement sur le bout des pieds et perdu dans une rêverie, pendant que de petites vagues accouraient et lui baignaient les orteils. Sa chevelure ambrée glissait en boucles caressantes sur ses tempes et le long de sa nuque ; le soleil faisait briller le duvet entre ses omoplates ; le dessin délicat des côtes, la symétrie de la poitrine apparaissaient à travers l'enveloppe collée au thorax ; les aisselles étaient encore lisses comme celles d'une statue, le creux des jarrets était luisant et traversé d'un réseau de veines bleuâtres auprès desquelles le reste du corps semblait fait d'une matière plus lumineuse encore.

Quelle discipline, quelle précision de la pensée s'exprimait dans ce corps allongé, parfait de juvénile beauté ! Mais la sévère et pure volonté dont l’activité mystérieuse avait pu mettre au jour cette divine œuvre d'art, n'était-elle pas connue de l'artiste qu'était Aschenbach, ne lui était-elle pas familière ? Cette volonté ne régnait-elle pas en lui aussi, quand, rempli de passion lucide, il dégageait du bloc marmoréen de la langue la forme légère dont il avait eu la vision et qu’il présentait aux hommes comme statue et miroir de beauté intellectuelle ?

  • 3. En corps de Cédric Klapisch (2022) : La danse comme recherche d’harmonie


Bilan : La beauté est subjective mais surtout culturelle : elle interroge sur la correspondance apparence / être intérieur.